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Mes amours, ma vie, mon futur
J'ai le cœur si lourd que je ne sais pas par où commencer. Nous sommes le 17 novembre 2015 et je n'arrive pas à accepter l'inacceptable. Je me refuse à prononcer certains mots par peur de les rendre trop réels et pourtant ils me hantent, surtout un en particulier.
Un mot si lourd de sens, si loin de tout ce que j'ai toujours souhaité pour vous. Un mot que j'aimerais que vous n'entendiez jamais, qu'aucun enfant ne devrait jamais entendre d'ailleurs. Je ne suis pourtant pas du genre à me voiler la face mais la peur semble me faire dérailler. Car oui j'ai peur.
Depuis 3 jours mon cœur s'emballe en permanence. Depuis 3 jours je tremble et je retiens mes larmes quand je dois m'éloigner de vous ou de votre père. J'ai l'impression de ne jamais m'être vraiment réveillée ce samedi 14. Je suis piégée dans ce moment où j'ai lu les nouvelles, l'horreur du VENDREDI 13 NOVEMBRE 2015, le sang, les cris, les larmes, LES MORTS, tellement de morts... Des personnes comme vous et moi qui étaient juste sorties s'amuser, prendre un verre, voir un match de foot ou aller à un concert. Des personnes qui étaient juste au mauvais endroit au mauvais moment et qui sont devenues les victimes de l'ignorance et de la barbarie.
De l'ignorance car les monstres qui les ont tuées l'ont fait au nom d'un Dieu, Allah, qui n'a jamais demandé une telle infamie. Voici un extrait du Coran, qui est soit-disant le texte sur lequel ils s'appuient :
Et de la barbarie car il n'y a pas d'autres mots pour décrire de tels événements ; des attentats. Je ne souhaite pas faire un débat sur la religion mais vous savez que je respecte les croyances de chacun et j'espère que vous en ferez de même. Je tiens juste à vous montrer qu'il ne faut pas faire d'amalgame. Les musulmans ne sont pas des terroristes. La différence est simple. Les musulmans sont des croyants au même titre que les chrétiens par exemple et les terroristes sont des monstres de barbarie. Et ceux-là, on ne peut pas les chasser avec vos sprays anti-monstres malheureusement.
Depuis ce samedi, je vois des cibles potentielles partout. Les gens préparent les fêtes, les magasins sont bondés. Les centres commerciaux ne désemplissent pas. Nous habitons une petite ville mais proche d'une plus grande ville avec un célèbre stade de foot récemment rénové. Une ville où s'est également installée l'annexe d'un grand musée parisien il y a quelques années. Je ne veux pas être parano mais je ne peux pas ne pas y penser. Je ne peux pas fermer les yeux et c'est d'ailleurs de nuit que je vous écris.
Je ne me sens pas légitime de ressentir ce genre de choses car j'ai eu la chance de ne perdre aucun proche. Nous avons été préservés mais je ne peux m'empêcher de penser à toutes ces familles brisées. Et la pensée de pouvoir vous perdre un jour me hante.
J'ai peur de partir et de ne plus jamais rentrer pour prendre soin de vous. J'ai peur que votre père parte au travail sans avoir l'occasion de revenir. Mais plus que tout, j'ai peur de recevoir un appel m'annonçant qu'il vous est arrivé quelque chose. Comment pourrais-je continuer à vivre après ça ?
Je m'excuse platement auprès des familles qui ont vécu ce drame et qui doivent me trouver fort égoïste mais je ne parviens pas à faire taire cette angoisse.
Vous savez bien que je suis de nature angoissée et que vous perdre a toujours été une grande terreur pour moi, comme pour tous les parents évidemment. Mais là ça s'est accentué au point que je pars travailler les larmes aux yeux, que je descends du train au bord de la crise d'angoisse jusqu'au moment de vous retrouver.
Ces 10 dernières années, votre père et moi n'avons eu de cesse de nous battre pour construire la vie que nous avons aujourd'hui. Pour vous avoir, pour vous offrir LA maison, pour que vous ne manquiez de rien. Et maintenant que tout est en place, que tout roule, nous allons peut-être devoir nous battre pour vous garder en sécurité, sécurité qui n'existe plus nulle part !
Je perds pieds et je perds foi depuis ces derniers jours. Mais vous me connaissez, quand vous lirez cette lettre, peu importe dans quelles circonstances cela arrivera, vous saurez que votre mère avait besoin d'écrire afin de d'évacuer et de rebondir. Car poser ces mots me fait du bien.
Je ne vous parle de rien aujourd'hui car vous êtes tous si petits. Je sais que tu es capable de comprendre l'essentiel Big Brother, je n'ai aucun doute là dessus. Et c'est justement pour ça que je souhaite d'autant plus te préserver. Tu n'as que 3 ans et personne n'a le droit de te voler ton enfance et ton innocence, encore moins ces barbares. Tant que je pourrais vous préserver, je le ferai. C'est quelque chose que ces monstres n'auront pas.
Je ne souhaite pas vous mettre dans un cocon. Je vous ai toujours parlé de tout mais pas ça, pas maintenant. Je veux continuer à vous voir vous endormir dans des endroits incongrus, à croire au Père Noël, à vous battre pour un jouet, à danser dès que vous entendez la moindre note de musique, à vous émerveiller du moindre détail qui vous attire. Et je vais vous avouer une chose, c'est ça ma drogue, mon essence, c'est ça la vie tout simplement !
C'est vous qui avez tout compris et c'est vous qui serez les hommes de demain, vous que j'essaye d'élever dans la tolérance et la bonté, vous qui me donnez l'espoir et la force, vous qui je l'espère ne jugerez personne sur sa couleur de peau, ses orientations religieuses ou sexuelles.
Je tenais à vous écrire pour apaiser mon cœur et vous laisser une trace de ce moment historique car le devoir de mémoire est primordial. Indirectement vous avez vécu ce drame et vous devez savoir ce qu'il s'est réellement passé. C'est pourquoi, j'ajoute une édition du journal Le Monde du 14/11/2015 dans votre boîte à souvenirs, tout en espérant pouvoir un jour mettre celle qui annonce la fin de cette folie.
Source Photo (coloring by me)
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