• Maman n'a pas les clés

    Après avoir quitté le nid à rats familial, je me suis toujours promis que je ne reproduirai jamais ce que j'ai vécu. Je sais trop ce que c'est de subir des violences verbales et physiques, les humiliations quotidiennes :

    • "Tu n'es qu'un gros veau affalé dans le canapé" alors que je pesais 55kg pour 1m73 et que oui, je regardais la TV de temps en temps
    • "Tu finiras sur un trottoir" parce que je portais des t-shirts un peu trop courts à leur goût
    • "J'avais de l'espoir pour toi mais finalement tu ne feras jamais rien."
    • "Pourquoi tu ne pars pas maintenant ? On ne va pas continuer à t'héberger en attendant que tu trouves mieux !"

    Preuve en est, je suis partie il y a 13 ans et je me rappelle encore de ces phrases et de tant d'autres, mots pour mots...

    J'ai toujours su que je voulais tout le contraire pour mes enfants et les différents psys que j'ai pu voir après mon départ m'ont toujours assuré qu'il y avait trois options :

    1. On a conscience de ce qu'on a vécu et on fait tout pour ne pas reproduire
    2. On n'a pas conscience de ce qu'on a vécu et on reproduit le même schéma
    3. On a conscience de ce qu'on a vécu et on reproduit le même schéma en toute conscience

    La seule option envisageable et acceptable pour moi était bien évidemment la première ! Comment aurais-je pu faire subir ça à mes enfants ?!

    Et puis mes enfants sont nés, les nuits ont été difficiles dès le premier (Big Brother ayant fait ses nuits à 22 mois et ses frères étant arrivés 2 mois plus tard), la fatigue s'est accumulée et la mémoire du corps a fait le reste...

    J'ai crié, j'ai hurlé même et j'ai parfois été méchante. J'avais juste omis le fait que la volonté ne suffit pas toujours.

    Quand mes fils me frappent, que ça soit intentionnel (dans un accès de colère) ou pas, je perds pieds et je me mets sur la défensive, comme cette petite fille, puis cette ado, qui encaissait les coups, sans rien dire.

    Sauf que désormais elle ose se défendre et elle hurle comme elle n'a jamais pu le faire avant, elle hurle sur ses parents et son beau-père qui ne sont pas là mais à qui elle aurait du cracher sa colère à l'époque. Elle hurle sur ces enfants qui ont malencontreusement réactivés ces douloureux souvenirs. Et moi j'assiste à la scène incapable de la retenir, incapable de lui reprendre le contrôle de mes émotions et de mes paroles.

    Elle prend également le dessus sur moi quand mes enfants ne m'écoutent pas puisqu'elle même n'a jamais été écoutée. Alors je répète, une fois, deux fois, trois fois et c'est elle qui s'exprime alors en hurlant car elle ne sait pas faire autrement. Elle veut se faire entendre et elle y arrive mais uniquement en semant la terreur.

    Et elle s'immisce encore quand mes enfants me posent un peu trop de questions sur ce que je fais car elle-même était toujours épiée "Et tu vas où comme ça ? Avec qui ? Jusqu'à quelle heure ? Pourquoi ?", "Tu regardes quoi ? - lit le programme TV - Encore une belle connerie ! Tu ne pourrais pas regarder quelque chose d'intelligent pour une fois ?!"

    Alors oui, je sais comment je devrais réagir, je sais comment parler à mes enfants afin de capter leur attention, je sais quels outils mettre en place pour retrouver la sérénité au sein de notre famille mais je n'ai pas les clés pour utiliser tous ces outils.

    C'est comme si j'étais devant une voiture, oublions le fait que je n'ai pas le permis ! Je sais ouvrir la portière, je sais comment m'installer et comment conduire mais je n'ai pas les clés de cette voiture, alors elle m'est inutile...

    J'ai les outils, j'ai les références (Filliozat, Gueguen, Gordon, Papa Positive, Apprendre à éduquer et j'en passe !) mais je ne sais pas les utiliser. Je ne sais pas les appliquer car au fond, ça n'est pas dans ma nature, ça n'est pas ce que j'ai connu. 

    Et je lutte chaque jour pour appliquer de mieux en mieux la bienveillance et chaque jour sans cri est une victoire, mais chaque jour d'échec est une véritable torture. Je ne veux pas que mes enfants aient ce type de souvenirs, je ne veux pas qu'ils se rappellent de leur mère comme d'une furie qui leur hurlait dessus.

    Je leur explique régulièrement que je réagis comme ça parce que je n'ai pas connu autre chose et parce que certains de leurs comportements me rappellent mon passé. Je leur précise bien évidemment que ça n'est pas de leur faute et que ça vient de moi.

    Ils savent que "Maman essaie de se soigner" de ça, ils savent que je les aime plus que tout et que je fais de mon mieux pour dépasser tout ça, je leur répète tellement qu'ils me le disent eux-mêmes maintenant.

    Mais ça n'est pas une excuse, ça n'efface pas le reste.

    Il y a quelques jours Big Brother m'a dit "Tu es la maman la plus gentille du monde" et je n'ai pu que lui répondre que c'était faux, qu'il y a des mamans bien plus gentilles que moi.

    Ce matin, quand je suis rentrée de chez le médecin il a compris tout de suite et m'a demandé si j'étais malade, je l'ai rassuré en lui disant que non et il a expliqué à ses frère "Maman est fatiguée alors elle va rester toute seule à la maison pour se reposer." 

    Il a 4 ans et demi et il comprend déjà tout ça, parce que je le leur ai imposé, parce que je ne sais pas faire autrement. 

    Je ne veux pas les détruire et je ne veux pas qu'ils aient l'image d'une mère bipolaire qui peut être aussi douce que mauvaise. Je n'ai jamais entendu ce terme spécifique de la part d'un médecin, et je m'excuse auprès des personnes atteintes de ce trouble et qui se sentiraient dénigrées ici car ce n'est pas le cas, mais je me demande de plus en plus si je ne le suis pas.

    L'hypnothérapeute que je vois m'a dit que durant nos séances nous devions juste ramener cette petite fille à son époque, mais si elle est là, tellement présente, si nous sommes deux, il y a de quoi se poser des questions non ?

    Je sais que la mère parfaite n'existe pas et je ne vise pas la perfection, je veux juste diminuer les cris et supprimer les échos du passé, je veux enfin pouvoir me construire pleinement en tant que mère et non plus en tant qu'enfant maltraitée qui repose sur des bases plus que bancales.

    Maman n'a pas les clés

    Crédit photo

     

     

    « Il faut sauver le soldat congeléEt si chacun s'occupait de sa vie ? »

  • Commentaires

    1
    Myriam
    Lundi 10 Juillet 2017 à 15:01

    J'ai lu, et j'ai les larmes qui coulent, parce que ces mots je les comprends tellement. Merci d'avoir partagé tout cela. 

    Je comprends pour ma part, doucement, que tout vient de mon passé. Et je m'en veux tellement de parfois ne pas réussir à avoir ces clés pour ne pas leur faire vivre le même schéma. 

    Merci. 

      • Lundi 10 Juillet 2017 à 16:14

        Merci pour votre message. J'espère que vous arriverez à vous détacher petit à petit de ce passé. C'est déjà une étape énorme d'avoir compris que vos réactions viennent de votre passé !

        Si seulement on pouvait avoir ces clés sans devoir lutter, ça serait l'idéal. Je vous souhaite plein de courage dans votre cheminement.  

    2
    mamikey
    Lundi 10 Juillet 2017 à 15:59
    Nous n avons pas le mode d emploi et votre petit garçon a très bien compris que vous êtes une super maman. Et là je suis certaine que vous avez réussi. Vous avez beaucoup de courage et la volonté de faire pour le mieux et vous y arrivez. Prenez un problème à la fois. Ce matin je vais essayer de ne pas crierdu moins une fois sur deux et dans trois jours ou une semaine pourquoi ne pas essayer une matinée entière sans crier même s il vous arrive de pousser un grand cri en quittant la pièce ou en arrivant en haut des escaliers. Reprenez courage. Vous êtes sur le bon chemin et votre petit loup a tout compris. Parlez leurs doucement et essayez de prendre dix minutes pour vous. Laissez tout tomber 10 minutes et revenez plus zen.
      • Lundi 10 Juillet 2017 à 16:16

        Merci beaucoup pour vos conseils. Je pense que mon problème vient justement du fait que je voudrais que tout s'arrange d'un coup. Je vais essayer de faire comme vous me le conseillez, ça m'aidera à voir le positif et ne plus me laisser envahir par le négatif. 

    3
    Lundi 10 Juillet 2017 à 17:15
    Dis donc c'est un sacré texte que tu nous as écrit la... Merci pour ta confiance. Merci d'oser dire tout haut ce qu'on pense tout bas. Outre ton passé extrêmement difficile et dévastateur, tu nous rappelles à quel point il est difficile d'etre à la hauteur de nos propres exigences... Tu le dis très bien, nous avons excellons en théorie parce qu'on s'est bcp renseigner sur ce qu'il faut faire, mais nous sommes pas toujours capable d'appliquer les choses dans notre quotidien... Reconnaître ses erreurs c'est le 1er pas vers la guérison ;) Bravo à toi d'etre une mère parfaitement imparfaite <3
      • Lundi 10 Juillet 2017 à 17:22

        Merci beaucoup pour ton message. Appliquer ce que l'on sait ça reste le plus difficile, si seulement il suffisait de lire des livres pour savoir reproduire tous les conseils prodigués !

    4
    Au Drey
    Mercredi 12 Juillet 2017 à 09:54

    Je n'ai pas vécu une enfance traumatisante comme la vôtre, et pourtant...

    Je sais qu'il ne faut pas, mais je crie sur mes enfants. Après, j'essaye d'expliquer : je suis fatiguée (je suis souvent toute seule pour m'occuper des enfants, en plus de mon travail et de la gestion de la maison... comme beaucoup de femmes), j'ai déjà demandé plusieurs fois sans réaction, etc... J'essaye d'expliquer parce que je reconnais que ma réaction peut être disproportionnée et que j'ai envie que mes enfants sachent que l'on peut parler de tous les sujets. Je considère le dialogue comme étant la clef de tout. Le problème est que je ne devrais peut-être pas avoir à essayer d'expliquer des réactions que je ne devrais pas avoir.

    Bref. Au final, je culpabilise car je trouve que mon comportement, ce pétage de plombs occasionnel (moins fréquent maintenant que mes enfants sont plus grands [8 ans et 4,5 ans] et que les nuits sont plus sereines), n'est pas normal. Et comme vous, je crains qu'il n'ait des effets néfastes sur mes enfants. Je ne veux pas qu'ils aient peur ou qu'il se sentent en insécurité ! C'est tout le contraire que je veux pour eux !

    A priori, ils ont l'air plutôt épanouis, mais je m'en voudrais tellement de semer des petites graines de violence ou de peur en eux ! Je suis vraiment fière d'eux et j'essaye de le leur dire. Je les aime et j'essaye de le leur dire au moins une fois par jour. Je crois en eux et en leur capacité, et j'essaye de le leur dire pour qu'ils prennent confiance en eux. Mais... parfois... trop souvent... je crie. C'est un fait. Je peux dire des choses qui dépassent ma pensée parce que la digue a cédé et je m'en veux.

    Je souffre de ne pas pouvoir partager cela avec ma sœur et ma mère, toutes deux décédées. Car je sais que cela me ferait du bien de partager ces émotions avec des personnes si proches...

    J'aurais voulu être une mère parfaite. Je ne suis qu'une mère avec beaucoup de défauts qui aime ses enfants et qui fait ce qu'elle peut avec les moyens dont elle dispose...

    Merci pour ce billet rempli d'émotions !

      • Mercredi 12 Juillet 2017 à 10:19

        Bonjour et merci pour votre message. Je suis vraiment navrée que vous n'ayez plus votre mère et votre soeur pour parler de ça, ça doit être vraiment difficile pour vous et c'est un sacré vide.  

        Je pense qu'une grosse partie de notre souci vient de cet objectif de "mère parfaite" justement, on a beau savoir qu'elle n'existe pas, on se met toujours la pression en se disant qu'on a mal réagit, qu'on peut mieux faire et qu'on blesse nos enfants plutôt que de les aider à bien grandir.

        Ça crée la culpabilité et de là revient la colère (contre nous mais tournée vers nos enfants) et c'est un cercle vicieux dont il est difficile de sortir. 

        Si vos enfants ont l'air épanouis, c'est qu'ils doivent l'être et qu'ils ne gardent que les bons souvenirs en mémoire. Récemment, une maman de grands enfants (des adultes ^^) m'a dit qu'elle avait pris le temps de parler à ses enfants une fois jeunes adultes pour faire un point sur leur éducation. Elle a pu dire ce qu'elle avait regretté, expliquer ses réactions et eux ont pu lui dire ce qu'ils avaient "mal vécu" et comment ils se sentaient maintenant. D'après elle ça a fait du bien à tout le monde et je pense que ça prouve que le dialogue peut toujours arrondir les angles et permettre à chacun de se comprendre d'avantage. 

        Bonne continuation à vous, nous ne sommes pas parfaites mais au fond personne ne l'est et comme m'avait dit mon homéopathe "Si vous étiez parfaite, vous ne seriez pas leur maman, vous seriez juste une image d'épinal." wink2

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